La picachanson n°7 : Like a rolling stone
Régulièrement, en cette année picassienne 2020-2021, le collège Picasso vous fait découvrir une chanson. De tous les styles et de toutes les époques, de tous les genres musicaux… Aux confluences de tous les arts et de toutes les traditions, la chanson est sans doute un art mineur… ou plutôt c’est ce qu’elle aime bien nous faire croire, pour nous toucher plus facilement ! Ouvrez vos chakras, vos oreilles et vos cœurs : voici venir la picachanson !
Il fallait bien que cela arrive un jour, et forcément cela se reproduira souvent, après Vincent Delerm, Wejdene, Georges Brassens, Zazie, Gael Faye et Téléphone, la septième picachanson est… en anglais. Et, à tout seigneur tout honneur, elle est consacrée à une chanson dont l’auteur, rien de moins, a été le récipiendaire du prix Nobel de littérature 2016 : Bob Dylan.
La chanson Like a rolling stone a révolutionné la musique mondiale, à sa sortie, en 1965. On découvrait à cette occasion qu’une chanson n’était pas nécessairement légère, insouciante, sucrée. Le premier choc, c’est la longueur : une chanson de six minutes, en 1965, c’est du jamais-vu. Les Beatles, qui sont alors au top des hit-parade, fournissent systématiquement des chansons de moins de 3 minutes. (C’est d’ailleurs la chanson Help qui est la première des charts à ce moment-là : durée 2’19 ».) À tel point que la première version du 45 tours de Like a rolling stone présentait la chanson en deux parties, réparties sur les deux faces du disque…
La chanson est une longue apostrophe : le chanteur s’adresse directement à quelqu’un, qu’il ne nommera jamais, mais dont il est explicite qu’il s’agit d’une femme : il l’appelle Miss Lonely (« mademoiselle solitaire »). Il a visiblement des reproches à lui faire, et une revanche à prendre… Il lui dit ainsi, en ouverture de la chanson : « Once upon a time you dressed so fine / You threw the bums a dime in your prime, didn’t you ? », c’est-à-dire* : « Il fut un temps où tu portais des vêtements très chics / Tu jetais des piécettes aux clochards du temps de ta splendeur, n’est-ce-pas ? », puis, à la fin du premier couplet : « Now you don’t talk so loud / Now you don’t seem so proud / About having to be scrounging for your next meal », soit « Maintenant tu la ramènes moins / Maintenant tu as l’air moins fière / D’avoir à quémander ton prochain repas. »
Le refrain sonne alors pour la première fois, et explicite le propos : « How does it feel / To be on your own / With no direction home / Like a complete unknown / Like a rolling stone », ce que l’on peut traduire ainsi : « Qu’est-ce que ça fait ? / D’être seule au monde / Sans foyer où revenir / Comme une parfaite inconnue / Comme une pierre qui roule. »
C’est donc l’histoire d’une déchéance qui est contée ici par le chanteur, sans manifester beaucoup de compassion envers son interlocutrice… La charge est lourde, et même, disons, vacharde. Mais s’adresse-t-il réellement à quelqu’un(e) ou bien crée-t-il un personnage pour porter son propre mal-être ?
Like a rolling stone (« comme une pierre qui roule » : euphémisme pour se désigner lui-même comme un « vagabond » ou un « bourlingueur »), écrit au départ comme un long poème (dix pages), est en effet le cri de désespoir et de revanche au monde d’un auteur qui se sent incompris, décrié – qui considère, à tort ou à raison, qu’il n’a pas trouvé sa place en son monde.
Dylan envisage alors d’abandonner la scène. Au magazine Playboy, il confiera en 1966 : « J’étais vraiment épuisé, tout allait mal, tout était monotone et terne… Mais Like a Rolling Stone a changé tout ça. Je me suis retrouvé, je pouvais enfin savoir qui j’étais au plus profond de moi.» (Voir l’encadré Histoires des arts, ci-dessous.)
L’engouement provoqué par la chanson fut finalement tel que la face musicale du monde en fut durablement changée. Dylan se réconcilia avec lui-même. L’histoire ne raconte pas s’il en voulut ensuite moins à Miss Lonely… ni même si elle existât jamais réellement.
Excellente écoute, et à dimanche prochain.
Once upon a time you dressed so fine Threw the bums a dime in your prime, didn't you ? People call say 'beware doll, you're bound to fall' You thought they were all kidding you You used to laugh about Everybody that was hanging out Now you don't talk so loud Now you don't seem so proud About having to be scrounging your next meal How does it feel, how does it feel? To be without a home Like a complete unknown, like a rolling stone Ahh you've gone to the finest schools, alright Miss Lonely But you know you only used to get juiced in it Nobody's ever taught you how to live out on the street And now you're gonna have to get used to it You say you never compromise With the mystery tramp, but now you realize He's not selling any alibis As you stare into the vacuum of his eyes And say do you want to make a deal ? How does it feel, how does it feel? To be on your own, with no direction home A complete unknown, like a rolling stone Ah you never turned around to see the frowns On the jugglers and the clowns when they all did tricks for you You never understood that it ain't no good You shouldn't let other people get your kicks for you You used to ride on a chrome horse with your diplomat Who carried on his shoulder a Siamese cat Ain't it hard when you discovered that He really wasn't where it's at After he took from you everything he could steal How does it feel, how does it feel? To have on your own, with no direction home Like a complete unknown, like a rolling stone Ahh princess on a steeple and all the pretty people They're all drinking, thinking that they've got it made Exchanging all precious gifts But you better take your diamond ring, you better pawn it babe You used to be so amused At Napoleon in rags and the language that he used Go to him he calls you, you can't refuse When you ain't got nothing, you got nothing to lose You're invisible now, you've got no secrets to conceal How does it feel, ah how does it feel? To be on your own, with no direction home Like a complete unknown, like a rolling stone
Histoire des Arts
Like a Rolling Stone est une chanson de Bob Dylan, apparaissant sur l’album Highway 61 Revisited en 1965. Sa longueur (plus de six minutes), son style et ses arrangements en ont fait l’une des chansons de Dylan les plus célèbres et influentes. Le magazine Rolling Stone , créé précisément en 1966 en référence à cette chanson l’a nommée plus grande chanson de tous les temps, affirmant : « aucune autre chanson n’a jamais défié et transformé les codes commerciaux et les conventions artistiques de son époque aussi profondément ».
En ce printemps 1965, Dylan est de retour d’une tournée en Angleterre dont l’ambiance n’a pas plu au chanteur. Le public n’était pas assez enthousiaste à son goût… Avec ses premières chansons (Mr Tambourine man, Blowin’ in the wind…), Bob Dylan était devenu, à son corps défendant, le porte-parole d’un mouvement musical en plein renouveau, né au début du XXe siècle : la folk.
Avec Dylan, la folk (redénommée « folksong ») devient une expression musicale variée, influencée par l’esprit rebelle du rock ‘n’ roll, toujours d’inspiration contestataire. De la folk originelle, elle conserve les instruments acoustiques et les textes poétiques piochant toujours ses exemples dans la réalité, à l’inverse du rock, qui use (et abuse) des guitares électriques et limite souvent ses paroles à un support strictement mélodique.
Pourtant, et c’est bien le pradoxe, c’est en dépassant ses propres paradigmes que Dylan a trouvé son public et s’est réconcilié avec lui-même. Car, dans Like a rolling stone, c’est bien une guitare électrique qu’il utilise… Il faut parfois savoir casser ses propres règles pour respecter son être profond, ce sera l’enseignement du jour.
Bonus
La chanson Like a rolling stone n’était pas écrite au départ par Bob Dylan pour lui-même, mais pour le chanteur Jimi Hendrix. L’interprétation qu’il en faite, le 4 févier 1967, au de Monterey, en Californie, resta mythique. La version audio qui nous est restée est d’une qualité sonore contestable, mais sa valeur historique demeure.
*Les traductions (ainsi que la plupart des analyses) sont copiées-collées de la page Wikipedia de la chanson. Que les profs d’anglais du collège se sentent libres de demander à l’auteur de cet article de les corriger s’ils étaient imprécis ou incorrects.