La picachanson n°64 : God save the queen

Pour la troisième année, sur le site du collège Picasso, chaque dimanche (ou presque), nous découvrirons une chanson. Parce que les chansons sont le reflet de leur époque, elles transmettent et perpétuent des images de leur monde, et, par leur universalité, offrent un pont naturel avec le nôtre. Nous aborderons ainsi des chansons de tous les styles et de toutes les époques, de tous les genres musicaux… mais toujours en lien avec l'actualité. L'actualité du monde, l'actualité du collège, l'actualité de nos vies. Alors ouvrez vos chakras, vos oreilles et vos cœurs : pour sa troisième saison, voici venir la picachanson !

Nul ne l’ignore, car c’est l’événement géopolitique de la semaine, qui a fait les grands et les petites titres médiatiques depuis le jeudi 8 septembre : la reine d’Angleterre, Elisabeth II, est décédée. Cela nous donne forcément l’occasion de revenir sur l’hymne national britannique, le fameux « God save the queen », mais, forcément, puisqu’il s’agit ici d’une rubrique Picachanson (et non pas « Picahymne »…), c’est bien une version de cet hymne sous forme de chanson sur laquelle nous nous penchons aujourd’hui. Et cette version sera celle des Sex Pistols, publiée en 1977. Lorsque la solennité et la royauté rencontrent le punk… Un si parfait résumé de l’insularité britannique et de ses si chers paradoxes…

D’abord expliciter un raccourci de langage : la reine (ou le roi) d’Angleterre n’est pas simplement reine d’Angleterre, mais « reine du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et des autres royaumes du Commonwealth ». Or, le Commonwealth regroupe 56 états, répartis sur l’ensemble du globe, quasiment tous issus de l’ancien Empire britannique. 56 pays, c’est plus d’un quart des pays du Monde… Ainsi, ce ne sont pas moins de 2,5 milliards d’habitants (un tiers de la population mondiale !) qui reconnaissent, par la constitution de leur pays, le monarque britannique comme leur souverain. Cela n’empêche évidemment pas ces pays d’avoir un gouvernement, et cela ne signifie en rien que le monarque britannique puisse décider des choix politiques de ces pays : la monarchie britannique a en effet un rôle purement cérémoniel.

Le règne exceptionnellement long d’Elisabeth II à la tête de la couronne britannique (elle avait été couronnée le 6 février 1952, ce qui signifie qu’elle a régné… soixante-dix ans !) a donné à la Terre entière l’impression que l’hymne « God save the queen » était fixé dans le marbre, mais il n’en est rien. En effet, il ne s’agit constitutionnellement pas d’un hymne officiel, c’est simplement l’usage qui l’a institué comme l’hymne royal, utilisé lors des cérémonies d’hommage au monarque, et utilisé comme hymne national par certains du pays du Commonwealth (Royaume-Uni, Nouvelle Zélande), notamment lors des événements sportifs ou culturels.

Ses paroles évoluent régulièrement (contrairement, par exemple à la Marseillaise, dont les paroles sont figées depuis 1887), mais deux versions coexistent aujourd’hui, s’adaptant au genre de la personne prenant place sur le trône : le « God save the queen » devenant ainsi « God save the king » lorsque la personne concernée est un mâle, et c’est précisément le cas depuis jeudi dernier, puisque le fils d’Elisabeth II, Charles, est devenu à son tour roi d’Angleterre, sous le nom de Charles III. Notons pour la petite histoire protocolaire que le souverain régnant (la reine ou le roi) ne chante, lui, jamais cet hymne… et pour cause : c’est précisément sa personne qui est évoquée par le texte. On ne voit pas quelqu’un chanter « et que Dieu me sauve… »

Cet hymne est joué depuis au moins 1745, et ses origines, controversées, pourraient directement être liées… à la cour du roi de France ! On raconte en effet que cette œuvre serait en fait une adaptation de la chanson « Grand Dieu Sauve le Roi » composée en 1686 par Jean-Baptiste Lully pour fêter la guérison du roi Louis XIV opéré d’une affection fort douloureuse et potentiellement mortelle. Le compositeur officiel de la couronne d’Angleterre, Haendel, de passage à Versailles en 1714, aurait recopié la partition et fait traduire les paroles.

En 1977, la reine Elisabeth II fête son jubilé. Elle fête en effet alors le vingt-cinquième anniversaire de son règne. La société britannique, rigide et protocolaire, organise traditionnellement, pour ce type d’évènements, une série de cérémonies particulièrement réglées et encadrées, répondant à des siècles de traditions monarchistes. Mais la société britannique est emplie de paradoxes. Comme tous les peuples insulaires (ceux dont la société s’est développée sur une île, à l’écart des autres civilisations), c’est une société très excessive, vivant à la fois de ses traditions et des oppositions à celles-ci. C’est ainsi que c’est en Angleterre qu’est né le mouvement punk, notamment avec un groupe particulièrement emblématique : les Sex Pistols. Mouvement musical et culturel contestataire, les punks étaient aussi provocateurs et bruyants que l’aristocratie britannique était alors distinguée et guindée… Avec leur chanteur Johny Rotten et leur batteur Sid Vicious, les Sex Pistols représentaient ainsi l’exact contraire d’une monarchie britannique vivant avec des traditions séculaires, insupportable poil à gratter d’une société encaparaçonnée.

…Et c’est là que prend corps notre picachanson. Car, en 1977, donc, au moment où le jubilé de la reine s’apprête à commencer, les Sex Pistols sortent leur deuxième chanson, et ce titre s’appelle « God save the queen ». Bien sûr, la mélodie de l’hymne n’est pas respectée, et les riffs de guitare enfièvrés envahissent le morceau dès ses premières secondes. Les mots « God save the queen », qui n’arrivent qu’en conclusion de l’hymne, ouvrent ici au contraire la chanson, comme pour s’en débarrasser. Et ce sont les paroles suivantes, qui provoquent un scandale. Le royaume-uni est ainsi qualifié de « régime fasciste », et la reine elle même est décrite comme étant… inhumaine. : « She’s not a human being ». La chanson s’adresse ensuite directement aux britanniques, en leur disant que la monarchie n’aurait aucune légitimité à gouverner le pays, et n’aurait aucun avenir : « Don’t be told what you want / Don’t be told what you need / There’s no future / No future / No future for you » (« Ne te laisse pas dire ce que tu veux / Ne te laisse pas dire ce dont tu as besoin / Il n’y as pas de futur / Pas de futur / pas de futur pour toi »).

« Pas de futur pour toi »… Cette apostrophe, en plein cœur de la chanson, était évidemment une provocation de plus. Soit il s’agissait de parler directement à la reine, et c’était alors un crime de lèse-majesté… Soit cela s’adressait aux jeunes Britanniques, et c’était alors un appel à la révolte, à la seddition, à la Révolution.

C’en était trop pour la société britannique des années 70, qui n’avait pas non plus vécu son mai 68. Le disque fut purement et simplement censuré, la société de production A&M Records, qui avait signé le contrat initial, le dénonça et ne pressa pas les exemplaires de l’album destinés à la vente (seuls avaient été pressés les exemplaires destinés à la promotion et aux passages radio). La BBC interdit le titre à la diffusion. Johnny Rotten déclarera plus tard « Nous avons déclaré la guerre au pays tout entier, mais sans le vouloir ». Fin de l’histoire.

…ou pas. Car si les Sex Pistols sont sincères dans leur rébellion, leurs producteurs, eux, ont bien les pieds sur Terre. C’est le sulfureux Malcolm McLaren qui est alors leur agent artistique, et il voit là l’occasion de construire une vraie réussite commerciale. Bien avant que le mot « buzz » soit inventé, McLaren avait compris comment alimenter les médias pour faire parler d’un événement et créer des ventes. Choquer, une belle façon de faire parler de soi…

Et c’est le label Virgin records, créé depuis peu par Richard Branson (qui deviendra ensuite milliardaire, notamment grâce à son sens des affaires et de la provocation), qui signe le groupe et ressort le morceau. La sortie du single est planifiée de sorte qu’elle corresponde au plus près à la date de la cérémonie des vingt-cinq ans de règne d’Elisabeth II. Durant le week-end du jubilé de la reine, une semaine et demie après la sortie du single, 150 000 copies de God Save the Queen sont vendues. Provocation suprême, le 7 juin 1977, Richard Branson réserve même un bateau privé pour que le groupe puisse y jouer en naviguant sur la Tamise, en passant le long de Westminster et des chambres du Parlement. L’événement, qui est censé être une moquerie à l’égard de la reine, se termine dans le chaos. Beaucoup de membres de l’entourage du groupe, ainsi que Malcolm McLaren et Vivienne Westwood sont arrêtés par la police. (Cette anecdote est issue de la page wikipedia consacrée aux Sex Pistols.)

Il fut beaucoup reproché aux membres des Sex Pistols d’avoir pris position contre les emblèmes de leur propre pays, mais c’était bien mal comprendre les racines et les motivations du mouvement punk… « No future », c’était un constat, et non pas un slogan. Les Sex Pistols n’étaient pas véritablement contre quoi que ce soit, puisqu’ils étaient contre tout. Il ne s’agissait pas de promouvoir un parti, une cause ou même une idéologie… il s’agissait de contester.

Ainsi, l’un des membres du groupe, Steve Jones, déclara un jour : « Je ne vois pas comment quelqu’un peut nous décrire comme un groupe politique. Je ne connais même pas le nom du premier ministre. »

Bonne écoute, bonne chanson et à dimanche prochain !


God save the queen
Sex Pistols

God save the queen
The fascist regime
They made you a moron
A potential H bomb

God save the queen
She's not a human being
and There's no future
And England's dreaming

Don't be told what you want
Don't be told what you need
There's no future
No future
No future for you

God save the queen
We mean it man
We love our queen
God saves

God save the queen
'Cause tourists are money
And our figurehead
Is not what she seems

Oh God save history
God save your mad parade
Oh Lord God have mercy
All crimes are paid

Oh when there's no future
How can there be sin
We're the flowers
In the dustbin
We're the poison
In your human machine
We're the future
Your future

God save the queen
We mean it man
We love our queen
God saves

God save the queen
We mean it man
There's no future
In England's dreaming God save the queen

No future
No future
No future for you
No future
No future
No future for me
No future
No future
No future for you

M. Leclerc

Administrateur du site du collège.

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