La picachanson n°25 : Les vacances au bord de la mer
Régulièrement, en cette année picassienne 2020-2021, le collège Picasso vous fait découvrir une chanson. De tous les styles et de toutes les époques, de tous les genres musicaux… Aux confluences de tous les arts et de toutes les traditions, la chanson est sans doute un art mineur… ou plutôt c’est ce qu’elle aime bien nous faire croire, pour nous toucher plus facilement ! Ouvrez vos chakras, vos oreilles et vos cœurs : voici venir la picachanson !
Une chanson de vacances, et pourquoi pas ? Au bord de la mer, forcément, sur l’une des plages les plus célèbres de France. Mais pas forcément pour les plus riches.
En 1975, Michel Jonasz, sur des paroles de Pierre Grosz, évoquait avec nostalgie ses propres vacances d’enfance : enfant d’immigrés hongrois né à Drancy, il habitait en Seine-Saint-Denis, dans un HLM. Tous deux coiffeurs, ses parents n’avaient pas beaucoup de moyens, mais économisaient toute l’année pour se payer leurs rituelles « Vacances au bord de la mer ». Sur la côte d’Azur, et même à Cannes, la ville des « palaces et des restaurants »… dont ils ne faisaient cependant que « passer devant ». Car « Nous, il fallait faire attention / Quand on avait payé le prix d’une location / Il ne nous restait pas grand-chose ».
Et c’est ainsi que le petit Michel passa ses étés sur cette plage de Cannes, avec des plaisirs simples ou gratuits : sucer (ne surtout pas croquer, pour que cela dure plus longtemps !) des glaces à l’eau (les plus rafraîchissantes… mais aussi les moins chères !), regarder les bateaux (à défaut de monter dedans…), ou simplement… bronzer. Le tout dans le regard d’un enfant qui utilise joliment le discours indirect libre pour se faire l’écho de la manière dont ses parents gratifiaient ces vacances : « On prenait de belles couleurs ».
Point d’orgue de ces vacances, les escapades sur les îles faisant face à la plage : « Et quand les vagues étaient tranquilles / On passait la journée aux îles ». Les Îles, ce sont celles de Lerins, l’île Sainte-Marguerite et l’île Saint-Honorat, situées à quelques encablures à peine de la pointe de la Croisette, juste en face du fameux hôtel Palm Beach (l’un des palaces précédemment évoqués…).
Effectivement, les plages de Cannes sont, pour la plupart, privatisées par les grands hôtels, et il faut payer (une fortune) pour y profiter d’un transat et d’un coin de parasol…

Par bonté d’âme, la ville de Cannes a préservé une plage gratuite, celle qui fronte le célèbre palais des festivals (Hé oui, ces marches sur lesquelles vous voyez les stars monter, tous les mois de mai, avant la projection de leur film en compétation au festival du film…). Il y aussi celles de la Bocca, à deux kilomètres plus à l’ouest, qui sont également accessibles gratuitement… mais elles sont très étroites… et très encombrées : il faut littéralement enjamber les serviettes pour accéder au front de mer…

À 15 minutes de bateau à peine, les îles de Lerins, préservées dans leur caractère sauvage et naturelle, avec leurs rochers, leurs plages, leurs criques, et leurs forêts de pins parasols, restent entièrement gratuites, elles. À condition d’apporter son pique-nique, bien sûr : dès les premiers bateaux de la matinée, nappes à carreaux et glacières bondées se mettent à défiler dans les ruelles des îles en quête du Graal : la zone parfaite, à l’abri des regards, au bord de l’eau, mais ombragée tout de même, offrant une pierre plate pour y déposer les gratin de blettes cuit la veille – et pourquoi pas un trou dans la roche pour y caler au frais la bouteille de rosé… Quelque chose qui ressemble au bonheur…

Aux îles, tout est gratuit, donc, sauf le passage en bateau pour y aller… Pour une famille nombreuse, au tarif d’aujourd’hui, compter 14 € par personne… D’où cette phrase bien cruelle dans les souvenirs du chanteur : « On passait la journée aux îles / Sauf quand on pouvait déjà plus .» Déjà, maman, on ne peut plus ? Ben non mon chéri. On ne peut plus. Regarde passer les bateaux…
Ainsi, cette simple et sincère chanson, pleine de nostalgie, de tendresse, presque de douleur (« On avait le cœur un peu gros / Mais c’était quand même beau »), nous raconte avec ambiguïté le moment où le jeune Michel Jonasz connut ses premiers émois pour le moins ambivalents : le plaisir des choses simples, percutant de plein fouet la découverte de l’éxubérante richesse des autres : « On regardait les autres gens / Comme ils dépensaient leur argent ».
Comme un résumé enfantin de la lutte des classes, en somme.
Vous n’y croyez pas ? Dans cette chanson d’été, vous ne pensez pas que Michel Jonasz voulait dire cela ? Vous persistez à croire que ce n’est qu’une chanson nostalgie, sans signification et sans sous-entendu.Alors comment expliquez-vous le titre de l’album qui contient cette chanson ?

Tiens, une deuxième chanson d’été, une deuxième chanson militante. Ce doit être une coïncidence…
Les vacances au bord de la mer On allait au bord de la mer Avec mon père, ma sœur, ma mère On regardait les autres gens Comme ils dépensaient leur argent Nous il fallait faire attention Quand on avait payé le prix d’une location Il ne nous restait pas grand-chose Alors on regardait les bateaux On suçait des glaces à l’eau Les palaces, les restaurants On n’faisait que passer d’vant Et on regardait les bateaux Le matin on s’réveillait tôt Sur la plage pendant des heures On prenait de belles couleurs On allait au bord de la mer Avec mon père, ma sœur, ma mère Et quand les vagues étaient tranquilles On passait la journée aux îles Sauf quand on pouvait déjà plus Alors on regardait les bateaux On suçait des glaces à l’eau On avait le cœur un peu gros Mais c’était quand même beau On regardait les bateaux… Musique : Michel Jonasz Paroles : Pierre Grosz