La picachanson n°13 : Y’a des zazous

Régulièrement, en cette année picassienne 2020-2021, le collège Picasso vous fait découvrir une chanson. De tous les styles et de toutes les époques, de tous les genres musicaux… Aux confluences de tous les arts et de toutes les traditions, la chanson est sans doute un art mineur… ou plutôt c’est ce qu’elle aime bien nous faire croire, pour nous toucher plus facilement ! Ouvrez vos chakras, vos oreilles et vos cœurs : voici venir la picachanson !

Connaissez-vous Andrex ? On parie ? Et surtout : êtes-vous zazou ? Même pas un tout petit peu ? Voici les questions que nous nous poserons, avec l’aide de Brigitte Fontaine, à l’occasion de cette treizième picachanson.

Commençons par les zazous : en êtes-vous donc ? Mais, un zazou, que diable ! Qu’est-ce donc que cette chose-là ? Comme nous en avons pris l’habitude, posons la question directement au Trésor de la langue française informatisé, notre meilleur ami :

Voilà donc ce qu’est un zazou : un « adolescent des années 1940 manifestant une passion immodérée pour la musique jazz américaine et se faisant remarquer par une tenue vestimentaire excentrique ». Il s’agit donc d’une mode vestimentaire et musicale, autant dire une culture… On entend parfois parler de contre-culture. Et c’est ainsi qu’il faut ainsi lire la deuxième définition donnée par le dictionnaire : « (Par extension) Personnage un peu farfelu, tant par ses idées que par son aspect physique et sa mine. » Un zazou serait donc simplement quelqu’un de décalé, ayant son univers à lui, ne cherchant pas à suivre les règles… Admettez que ça vous parle…

Mais en 1940, les zazous n’étaient pas simplement des hurluberlus… Faisons un peu d’histoire : Dès la déclaration de guerre, le 9 septembre 1939, la Troisième République interdit par décret les bals publics et les dancings. Cette mesure est ensuite maintenue par le régime de Vichy dans son ambition de régénération morale de la jeunesse : les concerts, théâtres, cinémas et manifestations sportives sont à peine tolérés. La danse devient proscrite, a fortiori celle pratiquée par la jeunesse.

Occupée par les Nazis, Paris se doit de devenir la capitale du divertissement dans l’Europe germanisée, du moins c’est le plan du ministre de la propagande d’Hitler, Goebbels, pour donner une image accommodante de l’occupant. Pour œuvrer à cette création du « gai Paris », cabarets, music-halls, cinémas, théâtres peuvent très vite ré-ouvrir. Aussi, en dépit des restrictions et du couvre-feu, la vie culturelle et artistique présente une grande vitalité durant l’occupation. Mais le jazz, à la mode depuis les années 30 est insupportable aux Nazis : musique de métissage, musique du peuple, aux opposés musicaux du romantisme allemand, le jazz est aussi, par son histoire-même, la marque de la domination culturelle américaine, au moment même où le Reich allemand cherche à imposer un modèle impérial unique.

Ainsi, être zazou, en juin 1940, lorsque les Allemands entrent dans Paris, c’est afficher ses convictions, par son attitude, par sa parole, et même par ses vêtements. Le phénomène zazou concerne de jeunes garçons et filles, le plus souvent mineurs, qui arborent et affichent des tenues vestimentaires excentriques. Les jeunes hommes portent fines moustaches, cheveux longs et gonflés sur le front, cravates voyantes, vestes longues à grands carreaux et pantalons larges au niveau des genoux, se terminant en fuseau par-dessus des chaussettes blanches. Les filles revêtent jupes courtes et évasées, pulls moulés à col montant, chaussures à semelle de bois articulées pour battre la cadence. Garçons et filles adoptent souvent un petit chapeau rond, les lunettes noires et le parapluie « Chamberlain » en guise d’accessoire, toujours fermé même lorsqu’il pleut, comme pour montrer qu’ils ne veulent rien prendre au sérieux.

Le parapluie dit « Chamberlain » est une référence au premier ministre anglais Neville Chamberlain, qui avait signé avec Hitler (et le premier ministre français Daladier) les « accords de Munich » en 1938 : ces accords avaient été salués par la foule, qui ne voulait pas la guerre… On sait, aujourd’hui, que cette signature a au contraire permis à Hitler de se préparer et d’armer son pays, dans l’optique de la seconde guerre mondiale.


Les zazous bravent les interdictions de se rassembler et se retrouvent lors de « surprises-parties » notamment dans les cafés du quartier latin, de celui de Montparnasse ou des Champs-Élysées. Malgré le couvre-feu, ils organisent des concours de danse et de swing dans les sous-sols des brasserie. Être zazou, c’est surtout manifester un état d’esprit en contradiction avec celui de l’époque. C’est aussi une attitude indolente et insouciante, la volonté de ne pas se laisser dicter par le temps des guerres, revendiquant même le laisser-aller et l’oisiveté. Une forme donc de défiance à l’égard de la fermeté et de la rigueur du gouvernement de Vichy, dont la devise « Travail, Famille, Patrie » ne cadre guère avec cette vision de la vie… Être zazou, c’est ainsi manifester sa défiance de la France du maréchal Pétain…

Et c’est un chanteur, Johnny Hess, qui trouva ce terme, « zazou », dans une chanson de 1938 : « Je suis swing » : « Je suis swing / Je suis swing / Za-zou, za-zou, za-zu, zazouzé ». Ces paroles, proches de l’onomatopée, s’inspirent elles-même du morceau Zaz Zuh Zaz de Cab Calloway, l’immense vedette de l’orchestre du Cotton Club, mythique salle de concert de Harlem, le quartier noir de New York. Johnny Hess prolongera l’idée, en 1941, avec une chanson intitulée « Il sont zazous ! » dont voici les paroles :

Ils sont zazous
(Johnny Hess)

Les cheveux tout frisottés
 Le col haut de dix huit pieds
 Ah ! Ils sont zazous !

 Le doigt comme ça en l’air 
 Le veston qui traine par terre
 Ah ! Ils sont zazous !

 Ils ont des pantalons d’une coupe inouïe
 Qui arrive un peu au dessous des genoux
 Et qu’il pleuve ou qu’il vente ils ont un parapluie
 Des grosses lunettes noires et puis surtout
 Ils ont l’air dégouté 
 Tous ces petits agités
  Ah ! Ils sont zazous !
 
 Un jour un brave notaire
 De son pays débarquant
 Venait pour de grosses affaires
 De legs et de testaments
 Il avait l’allure très digne
 Mais comme les modes de maintenant
 Ont à peu près la même ligne
 Que celle de dix neuf cent
 Deux jeunes zazous s’écrièrent en l’apercevant : 
 Ce qu’il fait distingué
 Son col haut de dix huit pieds
 Ah ! Ce qu’il est zazou !
 Il a ce brave notaire
 Le veston qui traine par terre
 
Ah ! Ce qu’il est zazou !
 Il ne se doutait pas ce très digne notaire
 Qu’il pouvait être à ce point zazou
 Car tous ses vêtements lui venaient de son grand-père
 Le col, le veston, et tout et tout
 Il fut tout étonné
 De se voir ainsi remarqué
 Par tous les zazous !
 
 De retour chez lui le notaire
 Sidérait tous ses amis
 Y ne marchait que le petit doigt en l’air
 Mais bientôt ce fut bien pis
 Cette maladie pris sa fille
 Sa femme, son clerc, son toutou
 Enfin toute la famille
 Tout le monde devint zazou
 
Dans le pays quand y se promenaient on les croyait fous
En les voyant passer
Les braves gens s’écriaient
Tiens ! Voilà les zazous !

Après mûres réflexions
Le docteur en consultation
Dit : Ils sont zazous !

C’est une maladie un peu particulière
Bientôt il n’y paraitra plus rien
Avec une bonne cure de polka de nos grands-mères
Puis se regardant il dit : Tiens ! Tiens !
Mes cheveux tout frisottés
Mon col haut de dix huit pieds
Mais je suis zazou !

Tout comme le notaire
Mon veston traine par terre
Donc je suis zazou !
 
Et si ce n’est qu’une question vestimentaire
Je suis le plus zazou d’entre nous
Car ma redingote traine jusque par terre
Je ne vois qu’un remède faisons couper tout
Le docteur avait compris
Que là se tenait l’esprit de tous les zazous !

Lors d’un entretien accordé au journaliste Jean-Claude Loiseau (livre-enquête « Les Zazous » – 1977), Johnny Hess confiait : « J’étais zazou, sûrement. Vous savez, les zazous, c’est venu de nulle part. J’ai dû dire le mot un jour en scène. Les zazous, swing, c’étaient des réactions spontanées, histoire d’emmerder l’occupant. Je portais des cheveux un peu long, des lunettes noires. La presse collabo nous  insultait, cela nous amusait. […] Tout ce que je faisais était provocation. […] Il m’est arrivé de chanter dans des cabarets où se trouvaient des Allemands, pas en uniforme, mais en civil. Je comprends parfaitement l’allemand – je suis né en Suisse alémanique. Je les entendais entre deux chansons: « Faudrait le mettre en taule ce type là ». »

Car le gouvernement pétainiste, avec à sa tête le premier ministre Pierre Laval, supporte de moins en moins les zazous. La propagande appelle ouvertement à la dénonciation, en proposant aux « bons jeunes » de reconnaître les « mauvais ». Car les jeunes sont appelés à servir la Nation, et non à s’amuser… On dénonce ainsi ces « pitres gouailleurs, prétentieusement avachis et raisonneurs, coquetterie débraillée, mollesse, nature pauvre et compliquée, plaisantins de mauvais aloi, incapables de gaieté et de sérieux, ils sont le dernier reste d’une société d’individus. »  

Une virulente campagne de presse anti-zazou s’ouvre à l’automne 1942. Lucien Rebatet (journaliste et critique musical, condamné à mort à la Libération pour collaboration avec l’ennemi, mais gracié), dénonce alors « la vague immonde du swing, ce similihot, ce vulgaire straight, cette cochonnerie assaisonnant les blues avec du sirop de grenadine dans le but d’assouvir les fringales de trémoussements des pipelettes de la rue Soufflot. » La presse collaborationniste présente les zazous comme une jeunesse dorée, composée de fils-à-papas fortunés, des tire-au-flan égoïstes, des gaullistes… Le journaliste du Parizer Zeitung lance même: « Derrière le modèle américain et anglais du swing, c’est le juif qui se cache… » Pour l’hebdomadaire Jeunesse, « Il faut reconquérir le Quartier latin sur l’influence juive et l’imposture gaulliste. »

L’organe collaborationniste Au Pilori inaugure même une rubrique Art zazou. Au fil des mois, le ton se fait de plus en plus menaçant: « Le remède le plus pratique pour se débarrasser du zazou consiste soit avec un ciseau à lui couper la veste-pardessus, soit avec une tondeuse à lui enlever le toupet, ce qui non seulement le démoralise, mais encore le prive de tous moyens d’actions. » Aux mots succèdent les coups. Une intense répression s’abat sur les zazous, avec de véritables rafles menées dans les bars, par des groupuscules nationalistes. Ils s’engouffrent dans les bars, tabassent, tondent leurs adversaires.

Car les zazous, donc, ne sont pas seulement des hurluberlus. Ils ne se battent pas pour rien. Lorsque les lois raciales Pétain obligèrent les Juifs à porter l’étoile jaune, un certain nombre de zazous, par défi, s’affichèrent avec une étoile jaune marquée « Zazou », « Swing » ou encore « Goy ».

450 zazous furent ainsi arrêtés par la police, conduits au camp de Drancy, puis relâchés et envoyés à la campagne pour travailler aux champs.

Suivant Ludivine Bantigny (auteure d’un essai « Jeunes et générations en guerre, 1937-1947, La guerre monde », Folio, 2015), les zazous sont « des révoltés, refusant d’être étiquetés selon les normes d’identité prônées par les autorités. Ils minent de l’intérieur la morale en vigueur en exhibant ses ridicules et ses aigreurs. Au fond, les zazous sont des « déserteurs du monde« , de ce monde codifié par des normes conservatrices et fascistes que, par leur refus même de cet ordre, ils entendent bien condamner. » C’est une bien jolie définition, non ?

Ainsi, les Zazous des années 30 et 40 annoncent et précèdent les Blousons Noirs des années 50, les Beatnicks des Années 60, les Punks des années 70, le Grunge des années 80. Puisque tout est politique, la résistance passe toujours par la musique et par les vêtements. L’insousiance de la jeunesse, comme un inaltérable rempart aux fascismes et aux conservatismes… (Si vous avez une heure devant vous, écoutez l’émission de France Musique Musicus Politicus du 1er mai 2016, consacrée aux zazous.)

Revenons donc à Andrex, et à notre question initiale, dont la réponse est certainement « non » : vous ne le connaissez pas. Ou plutôt vous croyez ne pas le connaître. Car si le nom d’André Jaubert, dit Andrex, acteur et chanteur français, ayant joué dans plus de cinquante films et ayant laissé plusieurs chansons à la postérité, vous est certes inconnu, ce n’est pas le cas de l’une de ses chansons, que la plupart d’entre vous connaissent très bien, et pour cause… Car Andrex a produit, dans la foulée de la chanson de Johnny Hess… Une parodie de celle-ci, justement nommée Y’a des Zazous. Si vous souhaitez l’écouter, il vous suffit de scroller jusqu’en bas de cet article, puisque nous vous proposons cette version… en bonus.

Car notre picachanson est consacrée à la reprise de cette chanson, en 2001, par l’immense Brigitte Fontaine, avec la complicité du Chanteur M (Mathieu Chédid). Dans l’album Kekeland, elle s’y offre ainsi une version toute neuve d’une chanson pourtant vieille de soixante ans, qui lui va, disons-le, sans détour, comme un gant.

Elle nous y pose franchement la question à tous : au fond, suis-je moi-même un zazou ? Pour elle, la question ne se pose guère. Et pour vous ? Bonne écoute, et à dimanche prochain !

Jusqu'ici sur terre un homme pouvait être
Blanc ou noir, ou jaune, ou rouge, et puis c'est tout
Mais une autre race est en train d'apparaître
C'est les Zazous, c'est les Zazous.

Un faux col qui monte jusqu'aux amygdales,
Avec un veston qui descend jusqu'aux genoux,
Les cheveux coupés jusqu'à l'épine dorsale,
Voila l'Zazou, voila l'Zazou.

Y a des Zazous dans mon quartier,
Moi je l'suis déjà à moitié,
À votre tour, un de ces jours, 
Vous serez tous zazous comme eux
Car le Zazou c'est contagieux…
Ça commence par un tremblement
Qui vous prend soudain brusquement
Et puis on pousse des hurlements…
Wa da la di dou da di dou la wa wa!

Si vous rencontrez un jour sur votre passage
Un particulier coiffé d'un fromage mou,
Tenant dans ses doigts un poisson dans une cage,
C'est un Zazou, c'est un Zazou !

Si votre épicier vous dit :
« J'ai du gruyère
Mais malheureusement il ne reste que les trous »,
Ne supposez pas qu'il fuit de la cafetière :
Il est Zazou, il est Zazou !

Y a des Zazous dans mon quartier
Moi je l'suis déjà à moitié
Un de ces jours ça vous prendra
Wa da la di dou da di dou la wa wa !

A son futur gendre avant-hier ma concierge
Disait : « Voyez vous, ma fille est un bijou
Elle est encore mieux que si elle était vierge
Elle est Zazou, elle est Zazou ! »

En prenant l'train j'ai vu le chef de gare
Qui m'a dit: « Mon cher, j'suis plus cocu, du tout
Je suis quelque chose de beaucoup plus rare :
Je suis Zazou, je suis Zazou ! »

A la société devant payer sa dette
Devant la guillotine Gégène a dit : « J'm'en fous
Y a déjà longtemps que j'ai perdu la tête
Je suis Zazou, je suis Zazou ! »

Avec une mondaine de la place Pigalle
Mon ami Léon a fait les quatre cents coups
Ça lui réussi car pour ses vingt-cinq balles
Il est Zazou, il est Zazou!

Y a des zazous dans mon quartier
Moi je l'suis déjà à moitié
Et à mon tour un de ces jours
On finira par m'emmener
Dans un asile d'aliénés
Entre zazous, on s'retrouvera
Et c'est fou ce qu'on rigolera
Quand sous la douche on chantera
Wa da la di dou da di dou la wa wa!

Un grand merci à la page l’histgeobox, qui a fourni une grande partie du contenu de cet article. Et bravo pour le superbe travail de ces professeurs d’histoire-géo !


BONUS

Comme promis, voici la version originale de Y’a des zazous d’Andrex (1941) (version audio uniquement) :

M. Leclerc

Administrateur du site du collège.

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